Auteurs en liberté

Cette partie du site laisse la liberté à nos auteurs d’écrire des articles sur le sujet de leur choix, selon leur inspiration.

L’écriture de voyage

On présume souvent que je vadrouille et que ce n’est qu’une fois rentré que je pose par écrit nos aventures sur ordinateur. C’est faux. C’est archifaux ! Mais c’est aussi bien vrai.

C’est faux tout simplement car la mémoire est vacillante, on ne peut en aucun cas lui faire confiance. Il me faut coucher mes ressentis dans les minutes qui suivent ou dans la nuit, avant qu’ils ne s’estompent. Toutefois c’est aussi vrai, car s’il fallait publier mes seules notes prises en voyage, vous me prendriez pour un fou. Non. Mes écrits sont le fruit de longues périodes de travail en trois étapes.

 

Étape 1

Ma préférée, elle ne souffre d’aucune pincette ni de filtre : il s’agit de tout ce que j’écris sur des carnets dont je ne laisse à personne d’autre le soin ne serait-ce que de zyeuter. Tout y est barbouillé à l’instinct et de manière folle, à n’importe quel moment. Réveil douloureux, animaux fabuleux, transports chaotiques, rites chamaniques, rencontres improbables ou gestes impardonnables, décrire un temple du passé ou griffonner une frivole pensée… Ayant tendance à tout oublier, à ce stade je note ce qui me titille et me saisit. En tailleur dans un pick-up, en train de crapahuter en forêt ou tout simplement à la terrasse d’un café sublimé par le Mékong et tentant désespérément de récupérer mon stylo qu’un singe vient de chiper… Mes premiers jets ne sont jamais écrits au calme dans un bureau. Cela n’aurait aucun sens.

L’inspiration émane de toutes ces ambiances singulières, que je m’efforce de retranscrire avant qu’elles ne s’évadent de mon esprit. Il m’est arrivé par exemple de sortir mon carnet et d’écrire simplement « exténué, jamais vécu ça » juste avant de m’écrouler, sac au dos, me réveillant six heures plus tard pour ressortir le carnet et décrire brièvement le décor, avant de repartir dans la foulée pour ne pas crever de froid.  

D’autres ajouteront que j’ai du mal à me « poser » en voyage, ce qui est vrai aussi. Sortir mon petit carnet à la va-vite pour esquisser un environnement puis le remettre aussitôt dans ma poche permet d’apprécier pleinement le spectacle, ici et maintenant, sans le dénaturer et en toute discrétion. Parfois j’écris longuement, pour décrire un paysage par exemple. Mais le vrai travail se fait le soir.

 

Étape 2

Cocooné sur un lit de couchette, allongé dans le hamac ou à l’abri des moustiques sous ma tente… C’est souvent le soir et à la frontale que je peaufine les notes de la journée. Là que je fais appel à ma mémoire, que je m’appuie sur le silence nocturne afin de ne rien oublier. Et si je suis accompagné, je n’hésite jamais pour demander conseil sur ce qui s’est déroulé dans la journée ; la dynamique d’une telle démarche est fabuleuse. Car c’est souvent à ce moment que nos idées convergent, qu’un point est mis en avant lorsqu’un autre termine aux oubliettes.

Et c’est d’ailleurs ce qui rend l’écriture des carnets de voyage si attractif : interagir auprès des locaux, de ses compagnons, des rangers ou des autres Backpackers sur des idées, des lieux à découvrir ou à éviter, des points à éclaircir ou sur la vie en général… Tout ça est fantastique et participe non seulement à l’enrichissement des carnets, mais surtout à la beauté du voyage. Écrire me pousse à aborder les gens, qui m’invitent à peaufiner mes recherches et enrichir le contenu.

 

Étape 3

La plus fastidieuse. Il s’agit de rendre un carnet « publiable » : tout reprendre au propre sur ordi et y insérer mes recherches annexes (culture, faune et flore, histoire…) au fur et à mesure. Un travail que j’apprécie particulièrement, car en plus de revivre indirectement l’aventure et d’emmagasiner encore plus d’informations sur des pays que j’affectionne, les nombreuses relectures font que je n’ai plus de trous de mémoire !

 

Ce n’est pas génial ? À vos carnets !

Par Raphaël Paquereau, 15 avril 2021.

L'Envoi

Comme toutes les autres fois, elle a soigneusement enveloppé le volumineux paquet brun qui contient ses espoirs de presque trente ans, et un peu plus de deux années de travail.

Une tâche exaltante — elle y a passé quelques nuits, — et ne compte plus les week-ends en famille sacrifiés sur l’autel de l’Œuvre. Décourageante, parfois. Solitaire, souvent…

L’Envoi ne fait pas exception à la règle, et c’est seule qu’elle parcourt le chemin qui l’emmène à La Poste, en serrant le précieux manuscrit sous son manteau, pour le protéger de la pluie.

Elle a écrit le nom du destinataire avec son stylo fétiche — un feutre noir, de la marque « Pilot », — celui avec l’armature en fer aux cœurs gravés dont elle aime à penser qu’il lui portera chance.

Elle a d’ailleurs dû refaire l’enveloppe plusieurs fois : elle était tellement émue la première qu’elle a fait une erreur sur le code postal. Écrire « 75013 » sans se tromper aurait pourtant été à la portée de son fils de 6 ans ! La deuxième version ne lui plaisait pas non plus : elle la trouvait trop naïve, pas assez sérieuse. Trop provinciale, peut-être. En tout cas, pas assez « écrivain ».

Et puis, si elle n’est pas capable d’écrire avec assurance, qu’est-ce que ce sera quand elle devra signer des dédicaces à tour de bras ? Alors, elle a réécrit l’adresse avec application et fermeté, comme le ferait un auteur confirmé, qui exigerait une avance sur Droits d’Auteur.

Elle tente sa chance une fois par mois — faire imprimer près de quatre cents pages et envoyer le tout de Toulouse à Paris, ça pèse sur un salaire de maman solo — et la voilà arrivée devant l’immense Boîte aux Lettres Jaune.

Elle a pris l’habitude, à chaque fois qu’elle « tente le coup », de murmurer quelques incantations, juste avant de le glisser dans la boîte. C’est un peu idiot, sans doute, mais elle se dit qu’avec de la chance, cela aidera son deuxième enfant à franchir les nombreux obstacles qui la séparent du Comité de Lecture…

Par Nicolas Cédras, 7 avril 2021.

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