Ateliers d'écriture
La Société littéraire de La Poste propose des ateliers d’écriture.
Voici quelques textes des participants.
Où sont les enfants ?
L’après-midi de juillet avait été lumineuse mais très chaude. Après le repas, Sido se dit qu’une bonne sieste serait la bienvenue. Elle autorisa donc les enfants à aller jouer dans le parc et elle-même s’allongea avec délectation dans l’une des alcôves, la plus profonde de la grande bâtisse. Elle se mit à rêvasser langoureusement jusqu’au sommeil dans lequel elle sombra profondément…
Soudain elle fut réveillée par un claquement sec comme un coup de fusil. Elle ne fut pas longue à comprendre que l’orage était arrivé. Des éclairs déchiraient le ciel où courraient de gros nuages gris. Sa première pensée fut pour les enfants. Elle se leva d’un bond et courut à la fenêtre dont elle poussa l’huis contre le mur et se penchant au dehors, elle les appela d’une voix aiguë qu’elle ne se connaissait pas :
-Colette, Adrien, où êtes-vous ?
De larges gouttes s’étaient mises à tomber sur les pavés de la cour. Dans le caniveau, l’eau formait déjà une rigole. En levant les yeux plus loin vers le parc, elle voyait moutonner les frondaisons vertes qui ondoyaient sous le souffle d’un vent puissant. Elle s’époumona à nouveau :
-Colette, Adrien, Adrien, Colette…
Personne ne répondait.
– pourvu qu’ils n’aient pas l’idée de se cacher sous un arbre, fit-elle anxieusement. Mon Dieu, la foudre ! Elle est tombée il n’y a pas si longtemps sur le vieux cèdre, ne laissant qu’un tronc calciné. Alors, si les enfants…
Un éclair plus violent que les autres fendit à nouveau les nues.
– Adrien, Colette, rentrez je vous prie…
N’y tenant plus, elle dévala l’escalier comme elle était mise, avec sa camisole blanche et en cheveux. Elle arpentait la grande allée en hurlant les prénoms des enfants. Bientôt elle fut trempée, ses formes mûres apparaissaient sous le tissu léger qui lui collait à la peau et des mèches blondes et grises lui dégoulinaient dans les yeux. Elle haletait.
Non, ce n’est pas ainsi qu’elle les trouverait. Il fallait trouver autre chose, d’abord respirer, arrêter de courir, se calmer. Ce que faisant, elle sentit l’odeur de la terre mouillée et des fleurs saccagées par la brusquerie de l’orage qui donnaient, en s’envolant, le meilleur d’elles-mêmes. Et les épicéas avec cette fragrance de résine qui est leur ADN. Elle nageait dans une sorte d’infusion apaisante qui la ramenait à elle-même.
Alors elle s’arrêta et se mit à penser : les enfants ne sont pas idiots, ils savent que l’orage peut être dangereux. On leur a dit souvent qu’il ne fallait pas songer se mettre sous la protection des arbres, aussi feuillus soient-ils. Ils seraient rentrés dans un abri plus sûr. La maison ? Oui, c’est cela, la maison. Alors elle refit le chemin à l’envers, prit le temps de se pencher sur le buisson de romarin, redressa une tige de géranium cassée, s’essuya les pieds sur le paillasson usé et rentra dans le hall en secouant sa chevelure trempée. Maintenant il lui fallait visiter toutes les pièces et il y en avait beaucoup. La bibliothèque peut-être ? C’est par là qu’elle commença. Personne, alors méthodiquement, elle les fit une à une. Puis soudain, elle pensa à celle où elle aimait elle-même se retirer quand elle était enfant. Ce n’était pas une pièce, une soupente plutôt. Elle escalada l’escalier en colimaçon qui montait au grenier et poussa la porte qui grinça, longea un couloir, souleva une trappe et là, dans la pénombre, elle les vit enfin, les petits diables. Colette était allongée sur le ventre dans un canapé aux ressorts cassés, Adrien avait choisi un escabeau à trois pattes sous une lucarne et chacun lisait sagement un livre. Étonnés, ils levèrent la tête quand ils virent sa tête émerger de la trappe.
– Comment tu nous as trouvés ? Dans quel état tu es ? Veux-tu bien aller te changer ? Tu es toute trempée !
C’était le monde à l’envers : c’est eux qui s’inquiétaient pour elle, un peu vexés quand même qu’elle ait su où les dénicher !
-Mais que faites-vous ? dit-elle à bout d’arguments oubliant à la fois son inquiétude et les reproches qu’elle avait eus au bord des lèvres.
-Nous ? firent-ils en chœur. On attend la fin de l’orage pour retourner jouer dehors !!!
Par Danielle Cassard, août 2021.
Bulle rose
Quelle lumière avez-vous rencontrée dont vous vous souvenez encore ?
C’était en 1990. Généralement je ne me souviens pas des dates. Mais celle-là, je ne l’ai pas oubliée…
On venait de m’opérer d’un décollement gravissime de la rétine –dite en langue de chat ou en fer à cheval pour les spécialistes- et l’ouvrage avait été accompli par l’un des « meilleurs couteaux de Paris », m’avait-on dit pour me rassurer. Sans doute l’opération avait dû être compliquée car on avait introduit dans mon globe oculaire un peu de silicone et une bulle d’air pour que la rétine adhère bien au fond de l’œil, et le tout était ourlé au laser par une quantité innombrable de points. Ainsi rapetassée, on me laissa sortir de la clinique et j’ouvris l’œil sur un monde qui n’eût de cesse de m’étonner.
En effet, il apparaissait dans un rond irisé qui changeait de couleur en fonction de l’orientation de ma tête et de mon angle de vue. La plupart du temps, il m’apparaissait teinté de rose pâle. Ce qui, évidemment, m’inquiétait au plus haut point et cette inquiétude gagnait tout mon entourage que je faisais largement participer à cette expérience unique. Mais elle était absolument incommunicable et je reçus bientôt des fins de non-recevoir : « arrête un peu avec tes angoisses », « calme-toi, », « prends un petit anxiolytique, un petit verre etc., etc. ». Au mieux : « appelle ton chirurgien ». Ce qui fut fait. Le froid clinicien me dit que la bulle se résorberait sous quinze jours.
Quinze jours à vivre dans un univers rose ou bleuté.
Finalement qui avait cette chance d’approcher un tant soit peu quelque chose de Picasso ? Je cessais mes jérémiades et je me surpris même à faire un décompte des jours. L’inquiétude avait viré de bord. Je craignais désormais de retourner au noir et blanc, si je puis dire.
Je me souviens d’un soir d’hiver où on me conduisait à une visite de contrôle : il fallait emprunter les quais. Arrivée au bout de la rue du Bac, non loin du Louvre, je m’écriai soudain : Dieu, que c’est beau. Le tableau tout entier irradiait le rose pâle dans l’or du couchant sur ces vieilles pierres grises déjà naturellement superbes. D’émotion, des larmes jaillirent de mes yeux. Je pensais d’abord que les larmes étaient une fonction naturelle de l’œil comme on me disait à la clinique quand je faisais une crise d’angoisse. Le tableau fut un instant noyé sous cette averse qui le brouillait quelque peu, on eût cru un Monet de la meilleure facture. Je pris conscience ensuite que j’aurais pu ne jamais le voir. Jamais plus. Un nouveau flot vint recouvrir l’image et je ne recouvrais toute l’acuité qui m’était possible que sous le pont Alexandre III. Le Grand Palais découpait sur un ciel rose sa nervure de verre reflétant les derniers rayons et je fus comme transportée dans un ailleurs magique.
Au bout de quinze jours effectivement, tout revint à la normale….
Par Danielle Cassard, août 2021.
L’éveil de la chenille verte
Je gravis une longue tige qui me menait à une grande feuille, péniblement car j’étais gênée par les gouttelettes d’eau qui la perlaient.
La chenille que j’étais avait les pattes mouillées par la rosée du matin.
J’arrivai finalement à cette feuille verte tant convoitée, cette feuille de troène.
Je repris mon souffle et commençai à la grignoter.
J’étais encore en train de savourer goulûment cette feuille quand tout à coup, j’entendis du bruit, la feuille frémissait sous mes pieds.
Un autre convive était en train d’arriver. Je rebroussai chemin pour lui faire face ; c’était une autre chenille verte plus grosse que moi. Elle n’était pas de la même famille et avait les pieds rouges.
-Tu vas loin comme ça ? lui demandai-je.
-Bouge de là, laisse-moi passer ! vociféra l’intrus.
– C’est à toi de partir, j’étais là avant. Il y a d’autres feuilles, choisis en une autre.
– Tu vas foutre le camp, nom de Dieu ? s’emporta-t-elle en me menaçant de ses crocs.
Elle me força à reculer car effectivement, elle était plus grosse que moi.
Une chose se passa alors, la grosse chenille s’étant dressée sur ses pattes de derrière, attira l’attention.
Un sansonnet en quête de pitance voletait dans le sillage.
Il effectua un virage en piqué tel un bombardier de la Luftwaffe et atterrit sur une branche à côté.
L’oiseau saisit la grosse chenille dans son bec.
« Au secours, cria-t-elle, il me bouffe… » Elle ne termina pas sa phrase, l’oiseau l’avait déjà avalée. Il regarda à droite, puis à gauche mais il ne me vit pas, j’étais immobile, j’étais de la couleur de la feuille de troène.
Le sansonnet s’envola et disparut à jamais.
Je restai longtemps immobile, paralysée de terreur, tellement longtemps que je commençais à durcir et durcir encore. Je devins une larve, un cocon.
Plus tard, le cocon s’ouvrit. Un papillon frileux en sortit et déploya ses ailes lentement.
C’était moi. Je pris mon envol et survolai les herbes, les feuilles, les arbres, toujours plus haut.
Je me sentais libre, follement libre.
En continuant à voler, je vis une autre chenille sur une feuille.
Je m’approchai et lui crachai dessus. Ainsi, je crachai sur ce que j’avais été et je m’éloignai loin de là.
Par Éric Mentel, août 2021.
La fée Électricité
On se targue, de nos jours, de ne plus croire aux fantômes, aux vampires, aux morts-vivants et autres revenants de tout poil. On reproche souvent à celles et ceux qui y croient encore leur naïveté et inconséquence. La fée Électricité sert à les éloigner.
Avez-vous conscience, chers européens, que quand la lumière disparaît, les maîtres de nos superstitions, les sorcières et les fantômes sont là, tapis dans l’ombre, prêts à ressurgir ?
La fée Électricité, un jour, il y a longtemps, quand je vivais à Paris, je l’ai rencontrée. Elle était attablée, une nuit, à la terrasse d’un café sur les Champs-Élysées, à proximité de laquelle je me promenais. Je m’assis à une table à côté de la sienne.
La demoiselle était lumineuse, c’était un être de lumière, complètement éthéré et illuminé comme une ampoule électrique. Je liai conversation avec elle.
– Qui êtes-vous ? osai-je demander à cette inconnue.
– Je m’appelle Mary Stilwell, répondit-elle, la première épouse de Thomas Edison (elle était dotée d’un fort accent américain). J’ai été son inspiratrice lorsqu’il inventa la première ampoule électrique, continua-t-elle.
La jeune femme, enfin cet être de lumière, paraissait avoir dans les vingt-neuf ans. Elle était vêtue d’une longue robe de dentelles comme les femmes en portaient au dix-neuvième siècle. Un collier de perles ornait sa gorge blanche. Une longue chevelure bouclée retombait sur ses épaules.
– Je suis morte prématurément à vingt-neuf ans, en 1884, me dit-elle. Je suis condamnée à errer de ville en ville, de pays en pays pour y apporter la lumière.
Cette jeune femme me parut être complètement folle mais elle me plaisait bien. Je m’approchai d’elle pour pouvoir la toucher. Mais elle n’était pas palpable, ma main passa à travers elle. C’était absurde, je me demandai en moi-même si je n’étais pas en train de rêver. Elle se leva de sa chaise, me fit un sourire et sans me quitter des yeux s’éloigna comme portée par une petite brise. Elle disparut au coin de la rue François-1er.
C’était incroyable ce que j’avais vécu là. Dès le lendemain, je repris contact avec mon psychiatre, pour parler de tout cela. Mais il était vrai que j’avais beaucoup bu ce jour-là.
Plus tard, je ne pensai plus à cette histoire et j’eus une autre rencontre insolite. C’était par une journée d’été où étrangement la nuit tomba plus tôt que d’habitude. Rentrant chez moi après une dure journée de labeur, je dus passer par le parc des Buttes-Chaumont dans le dix-neuvième arrondissement. Je vis, assise sur un banc public, une jeune femme africaine, une fille d’aujourd’hui en jean et chemisier vert, très jolie. Elle paraissait souffrir d’une blessure qu’elle tentait maladroitement de dissimuler ; elle me remarqua.
– Je suis la fée Obscurité, me dit-elle. Je suis morte l’année dernière dans un crash aérien ; j’ai été condamnée à errer de ville en ville, de pays en pays pour y apporter l’obscurité. Lorsque j’apparais en un endroit, la nuit ne va pas tarder à tomber.
– Alors ça c’est bien, lui répondis-je en m’asseyant à côté d’elle. Je préfère la nuit moi aussi, on peut faire ce qu’on veut sans crainte d’être verbalisé par un agent de police.
J’eus plus de chance avec la fée Obscurité. Je m’aperçus qu’elle était palpable. La relation entre elle et moi se concrétisa, son amour m’a transformé, m’a transcendé. Avec elle, je ne suis plus le même. À présent nous sommes deux. Dépassés par notre nature, nous ne cherchons pas la lumière mais plutôt l’obscurité.
Par Éric Mentel, juillet 2021.
Sur la plage abandonnée
Ses pas s’enfonçaient dans le sable de cette plage de Vendée.
Tête basse, il songeait qu’être nageur sauveteur le privait de ses vacances estivales loin de sa famille et des copains. Être utile, s’engager, faire preuve de civisme lui avait plu et être rétribué pour marcher sur une plage, un plus appréciable pour ce job d’étudiant.
Alerte à Malibu. Une tromperie loin de sa réalité.
Des naïades au bikini échancré ne se bousculaient pas autour de lui.
Levant les yeux, il envia les mouettes qui braillaient dans l’azur vendéen, les plumes irisées dans le soleil.
– Libres comme l’air, elles ! maugréa-t-il.
Des débris de coquillages, couteaux acérés, clams dépareillés, bigorneaux évidés martyrisaient ses pieds nus. Il rajusta son baudrier contenant son talkie-walkie sur sa poitrine, tira sur son short orange. Ses Ray-Ban ne voyaient que dodues mères de famille, surfeurs riant avec leurs copines, gamins s’éclaboussant.
Mains dans le dos, le regard fixé sur les vagues, il surveillait, sifflait les étourdis à la bouée licorne, les deux ados qui s’éloignaient vers le large sur leur paddle gonflable. Des imprudents distraits par le bonheur de cette journée ensoleillée.
Peu à peu son dos se courbait, son visage s’allongeait de tristesse.
Que venait-il faire sur cette grève ?
– Aïe ! Eh ! Fais attention ! Arrête de me marcher dessus, tu m’enfonces dans le sable.
Surpris, il se figea.
Qui parlait ?
Autour de lui. Ça s’ébattait, courait, riait mais il ne marchait sur personne.
L’un après l’autre, il examina ses pieds.
– Suis idiot. Je ne peux marcher sur un gamin et l’enfoncer. Bizarre !
– Et tu recommences ! Une voix outrée, furieuse l’apostrophait de nouveau.
– Baisse les yeux, au lieu de tirer sur ton short ridicule.
Interloqué, il scruta les lieux. Personne ne l’interpellait.
Il ressentit un picotement sur son gros orteil.
– Là, maintenant, tu me sens si tu ne vois pas. Peau rouge !
Peau rouge ! À présent on se moquait de ses coups de soleil.
Il baissa le regard et vit… un Bernard-l’hermite toutes pinces dehors, la coquille striée étincelante au soleil.
– Je te parle peau rouge. C’est pas drôle de traîner cette carapace pour gagner la mer. Mais si tes pieds en plus m’enterrent, ma vie devient un enfer, parole d’Hermite.
– Tu parles ?
– Suis un crustacé sachant parler. Hé ! T’as vu ma coquille ? Du premier choix. Du bulot XL aux plissés tendance. Je plaisante. Je te vois chagrin. Parce que tu ne trouves pas deux pièces féminines à aborder ?
– Ouais. J’avais accepté ce job mais je regrette. C’est pas Malibu. On me donne les surveillances aux heures les plus chaudes. Je rougis, brûle. Suis peu présentable et timide.
– Mais tu es vigilant, attentif, répliqua le Bernard-l’hermite en se retirant un grain de sable de la coquille.
– Ouais, suis sauveteur et je me sens délaissé.
– Délaissé, seul sur cette plage abandonnée. Lui chantonna le gastéropode des mers.
– Tiens, regarde cette jeune fille en maillot rouge.
– Pas pour moi. Elle court vers les surfeurs.
– Mais non ! Regarde bien.
– Hello, le maître-nageur. J’ai coquillage dans pied, vous m’aidez ? Je speak mal français.
Après ce soin, la jeune femme tout sourire :
– Je m’appelle Pamela. Vous venir avec moi pour manger glace ? Suis avec copines là-bas.
– Oh ! Oui ! Dans un quart d’heure j’ai fini. Je vous rejoins.
Heureux, il regarda Pamela lui désigner la cabane du glacier.
Jamais depuis son arrivée, il n’avait remarqué le nom de l’échoppe : MALIBU
Par Muriel Bernard, juillet 2021.
Navig'eau
Sur la vitre mouillée du bus, je suis cette goutte d’eau qui descend lentement le long des reflets des visages.
De l’extérieur, innocemment, je m’attarde sur cette femme qui lit, sur cet homme qui réclame une place assise.
Je repars, profitant du vent de ma course.
Je m’étoffe de trois gouttelettes timides qui s’égouttaient.
Je me fais loupe pour dévisager ce visage maussade, je zoome sur des lèvres sèches, gercées par trop de paroles aigres.
L’aluminium terne du rebord de la fenêtre se précise. Empruntant un chemin de traverse, je vous longe, tire mon trait humide, balafrant la sagesse, l’animosité de vos visages.
Inutile de passer votre sagace main sur la vitre, je m’en moque, je me ris de vos vains efforts pour m’effacer.
Je suis dehors, libre.
Vous êtes dedans, prisonniers de votre Navigo.
Par Muriel Bernard, juin 2021.